C haque expérience est singulière. Quel meilleur endroit que le théâtre pour réaffirmer avec force cette vérité ? Demain, vendredi et samedi, Frères ennemis donne la parole aux protagonistes d'un drame d'une complexité folle. Une pièce qui ne cherche pas à simplifier ni à expliquer, mais seulement à faire voir, à faire entendre. Sur scène, une ligne blanche tracée sur le sol. Regardez-les s'avancer de chaque côté, fantômes du passé ou du présent, d'Israël ou de Palestine. Ils se présentent à vous : l'enfant rescapé de

Gaza, Miss Holocauste, Mister America, King David, l'ancien soldat de Tsahal, un directeur de théâtre, d'autres encore… Ecoutez ce qu'ils ont à vous dire. Théâtre de parole, théâtre documentaire, Frères ennemis est surtout un petit miracle.

par Daniel Vuataz

Honnêtement, qui comprend quelque chose au conflit israélo-palestinien ? Je veux dire, vraiment quelque chose, au-delà des idées reçues, de ce que les médias rapportent ou de ce que quelques recherches sommaires sur internet peuvent nous apprendre ? Le théâtre apporte un éclairage nouveau sur la question. « Je ne cherche pas à embellir l'image israélienne ou palestinienne mais juste à donner la parole aux deux côtés. » Voilà la démarche qui a guidé Claire Audhuy dans l'écriture de Frères ennemis. Et on peut lui faire confiance pour savoir de quoi elle parle : tous les protagonistes de la pièce existent, et elle a personnellement rencontré la plupart d'entre eux, sur place, des deux côtés du mur. « Et des deux côtés, on m'en a voulu pour certaines scènes… », confesse-t-elle volontiers pour montrer que Frères ennemis n'est pas une pièce à charge.
« S'il y a une tâche du comédien, c'est de faire voir par la force créatrice du langage la tension entre l'appartenance à une existence historique, ici et maintenant, et l'appel du possible » écrit Eliette Pinel, la compositrice de Frères ennemis, aussi du voyage à Aïda en 2013. Jeudi, vendredi et samedi, à Saint-Gervais, nul besoin d'être spécialiste de la question israélo-palestinienne. Le théâtre, avec sa capacité d'ouverture, sera au centre.

Q uelques heures avant la Première de Frères ennemis, Claire Audhuy et Baptiste Cogitore rongent leur frein au quatrième étage de la maison. L'occasion de faire un peu mieux connaissance.
« J'ai étudié le théâtre de propagande principalement durant la période du national-socialisme [pour sa thèse de doctorat sur les créations théâtrales dans les camps nazis]. Puis, le théâtre a été repris comme un moyen de contre-propagande. Avec l'équipe de Aïda, nous avons fait du théâtre de résistance. A Genève, c'est du théâtre documentaire », détaillait la semaine passée Claire Audhuy dans une interview pour leprogramme.ch, à lire en intégralité ici.
Après l'expérience israélo-palestinienne, le duo de Rodéo d'âme a sillonné l'Europe de l'Est et les Balkans en VW Bulli pour une série de reportages radio et vidéo. Sur le site web de leur expédition, trois onglets annoncent leurs axes de travail, ceux-là mêmes qui ont guidé l'écriture de Frères ennemis : « Identités et minorités », « Mémoires et nationalismes », « Théâtre et résistance ». 15 000 kilomètres en 22 semaines, et des vidéos incroyables, comme la visite de ce théâtre dans un bidonville slovaque… « Mon rêve, c'est de les faire venir ici ! », s'enthousiasme Claire. Une nouvelle pièce est peut-être en train de naître.

Claire Audhuy

A yal, dessinant un schéma très compliqué, il peut s'y reprendre à plusieurs fois, raturer. Il y a trop d'éléments à placer sur une même feuille : le mur de séparation est différemment constitué selon son implantation. En ville, il s'agit d'un mur en plaques de béton armé, allant jusqu'à 8 mètres, pourvu d'une piste de patrouille, située en Cisjordanie, et de postes de surveillance tout le long, sous forme de miradors. En zone rurale, le dispositif de séparation diffère quelque peu. Il faut imaginer tout d'abord une pyramide de barbelés, suivie d'une fosse de 3 mètres de large et de 2 mètres de profondeur pour empêcher le franchissement de véhicules, puis une piste de patrouille, toujours installée en Cisjordanie, un grillage avec boîtiers de détection tous les 250 mètres, une bande de sable fin pour détecter toute intrusion, à côté d'une route de patrouille goudronnée pouvant accueillir toutes sortes de véhicules de Tsahal, et enfin une seconde pyramide de barbelés.
Ayal arrête son schéma. Le problème, c'est que depuis la construction de ce mur, les attentats suicides ont cessé. Cela rassure la population et surtout créé de nouveaux fantasmes. Qu'y a-t-il derrière le mur ? Que fabriquent les Palestiniens, à couvert derrière des plaques de béton de 8 mètres de haut ?

- Photos -
Première Loge :  © droits réservés, Billet Signé :  © B. Cogitore, Fait Maison :  © www.bullitour.eu,
Hors Scène :  © Jérémie Reuiller et Marine Froeliger.