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L'insoutenable
beauté de La porte
du non-retour
Daniel Vuataz,
rédacteur à St-Gervais
Jeudi passé. Vernissage de La porte du non-retour, le déambulatoire photographique de Philippe Ducros. J'enfile mon casque audio et me laisse guider parmi les photographies numérotées. Que voit-on dans La porte du non-retour ? Le grand boulevard Lumumba, d'abord, effarant et infini. Le marché aux fétiches d'Akodessewa, au Togo. Les déplacés d'un camp du Nord-Kivu ensuite, en grand format contre les murs. Un camp « dont on ne revient pas », peuplé par les fantômes du génocide rwandais.
L'Afrique comme parsemée de « tessons de civilisation » : hôpitaux-mouroirs, « fosses à placentas », épidémies de viols, églises évangéliques à chaque coin de rue… Qu'entend-on dans l'audioguide ? Le récit intérieur, dense et puissant, d'un homme qui laisse derrière lui le Québec et la femme qu'il aime pour aller, de son plein gré, planter son nez dans les horreurs de « la bête humaine », à la rencontre de ce conflit dont on a si peu parlé : « Si l'Afrique est un fusil, la République Démocratique du Congo en serait la gâchette. »
Autour de moi, la salle est silencieuse. Chacun vit son expérience de l'intérieur. Nous sommes ensemble mais nous sommes isolés face aux images, au texte. Seuls avec notre conscience. Avec la responsabilité tellement évidente de l'Occident. « Le message, c'est le médium », déclarait Marshall McLuhan, dont se réclame volontiers Ducros. Dans le cas de La porte du non-retour, c'est d'une évidence crue. Sublime et insoutenable à la fois.
Du 30 janvier au 9 mars
La porte du non-retour
Déambulatoire théâtral et photographique
de Philippe Ducros
Dans le cadre de Mémoires blessées 6
Infos et heures d'ouverture
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Au bord du monde
C'est parti pour
deux semaines de représentations
Valentine Sergo s'est rendue dans le centre de requérants d'asile de Meyrin avec son équipe artistique pour collecter les récits de celles et ceux qui ont fui la guerre… A quelques heures de la première d'Au bord du monde (lundi 3 février), on fait le point sur le spectacle.
La Lettre : Place aux représentations. À qui s'adresse Au bord du monde ?
Valentine Sergo: À tout le monde ! Il y aura des spécialistes de la question, mais aussi des requérants qui seront invités. Des classes d'insertion viendront également. Qui, en Suisse, aujourd'hui, peut dire qu'il ne se sent pas concerné par la question de l'immigration ? Et puis, si quelqu'un qui ne met jamais les pieds au théâtre vient voir la pièce, je serai comblée.
Comment vous y êtes-vous pris pour transposer sur scène ces témoignages de terrain ?
Je pars des enregistrements que je réécris, repoétise. C'est un processus artistique essentiel. Les comédiens doivent endosser toutes les paroles, tous les points de vue. Il y aura par exemple un conte malgache interprété par un comédien nigérian. Et puis beaucoup de musique. J'aime ce genre de mélange. Ce qui me fait bouger, dans cet art, c'est de partir de problématiques individuelles pour aboutir à quelque chose de rassembleur.
L'actualité suisse et la votation sur « l'immigration de masse » vous rejoint…
Le timing n'est pas du tout volontaire, mais c'est la preuve que ces interrogations nous touchent tous, tout le temps. Le théâtre – l'art en général – a un rôle essentiel à jouer, même à sa modeste échelle.
Du 3 au 15 février
Au bord du monde
Valentine Sergo
Dans le cadre de Mémoires blessées 6
Infos et réservations
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Le Fanfareduloup
Orchestra remet
Mon livre d'heures
au goût du jour
C'est la rencontre entre une « histoire sans parole » engagée et un collectif musical endiablé. D'un côté, Mon livre d'heures (Mein Stunden Buch, 1919), chef d'œuvre muet en 167 gravures noir-blanc du graveur belge Frans Masereel (1889-1972). Artiste cosmopolite et pacifiste notoire, celui-ci passa plusieurs années à Genève durant la Première Guerre mondiale. Adepte d'une technique ancienne (la xylogravure), il mit son art au service d'un discours social (l'oppression de l'Homme face aux guerres et aux travers du capitalisme). De l'autre côté, le Fanfareduloup Orchestra, véritable institution musicale de la scène genevoise, fondé il y a près de 30 ans et réunissant actuellement 13 musiciens de tous horizons.
Présenté pour la première fois il y a trois ans dans le cadre de Mémoires blessées, le spectacle revient le 11 février pour 5 dates exceptionnelles. Un concert à écouter aussi avec les yeux : sur scène, les gravures de Masereel sont projetées pendant que le band, en 12 stations musicales alternant entre compositions maisons et reprises (Kurt Weill, Carla Bley…), tisse son écheveau de cuivres et de rythmiques. Les narrations de Michele Millner et Sandro Rossetti (initiateur du projet) complètent cette spectaculaire juxtaposition. « Pour un peu, on se croirait revenu au bon vieux temps de la lanterne magique » (Le Courrier, 05.02.2011). Il va y avoir des décibels à Saint-Gervais !
Du 11 au 15 février
Mon livre d'heures
Fanfareduloup Orchestra
A partir de l'œuvre de Frans Masereel
Dans le cadre de Mémoires blessées 6
Infos et réservations
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