Dans une semaine exactement, la scène de Saint-Gervais se transforme en théâtre d'observation de l'intime : tg STAN fait escale à Genève avec trois adaptations d'œuvres de Schnitzler (Mademoiselle Else) et de Bergman (Après la répétition et Scènes de la vie conjugale). Pour chaque spectacle, un comédien (Frank Vercruyssen) et une comédienne (tour à tour Alma Palacios, Georgia Scalliet et Ruth Vega Fernandez) dialogueront dans des formats courts pour sonder la complexité des relations homme/femme. Deux de ces trois face-à-face viennent d'êtres montrés à Paris (avec Nusch d'Eluard à la place d'Après la répétition), et les critiques sont unanimes : « trois formes puissantes » titre Libération ; « une redoutable unité » ajoute Le Magazine littéraire ; « la salle irradie de poésie » renchérissent Les Echos ; « une maîtrise époustouflante » conclut Le Monde.

Mademoiselle Else (19h) et Après la répétition (21h) sont joués le même soir (du 26 février au 1^er mars). Scènes de la vie conjugale est joué du 4 au 8 mars.

Don Juan ? Il y a des noms comme ça qui occupent les plus hautes sphères des mythologies culturelles européennes : Tirso de Molina, Mérimée, Mozart, Hoffmann, Strauss, Byron… On ne compte plus les artistes qui ont apporté leur pépite ou leur simple caillou à l'édifice monumental. Rien qu'en littérature, Christian Biet dénombre plusieurs centaines de variations sur le mythe du séducteur insatiable. Dans ce monstrueux palais, le Dom Juan de Molière joue assurément un rôle de pierre angulaire. Présenté pour la première fois il y a trois siècles et demi, passé entre toutes les mains, toutes les manières, toutes les écoles, parfois tombé dans l'oubli, toujours remis dans la lumière, Dom Juan ou le Festin de pierre (c'est le titre complet de la comédie de 1665) a fait l'objet de mises en scène marquantes depuis les années 1940 : Jouvet, Vilar, Besson, Chéreau, Vitez, Planchon…

En si bonne compagnie, Christian Geffroy Schlittler et son Agence Louis-François Pinagot relèvent le défi d'un nouveau face-à-face avec les classiques du théâtre. Dans C'est une affaire entre le ciel et moi, le dialogue avec Molière permettra d'interroger « les capacités de révolte, d'insoumission et d'indignation » d'un homme en rupture avec sa classe et son temps : « C'est l'amoralité de Don Juan qui fascine. » Comme à son habitude, Christian Geffroy Schlittler fera cohabiter tous les métiers du théâtre, il profitera des apports littéraires de spécialistes et conjuguera écriture de plateau et appropriation personnelle des canons et poncifs du donjuanisme. Just another brick in the wall ? Non : une pierre de taille lancée dans la mare des reprises littérales.

L'hiver à Saint-Gervais s'est décliné sous le double signe de la jeunesse et de la mémoire. Dans la foulée du dialogue intergénérationnel instauré en automne par La Maison d'Antan (L'Alakran) et La Chinoise 2013 (Michel Deutsch), les jeunes comédiens de Trop frais ! ont fait entendre leurs doutes et leurs passions. L'édition 2014 de Mémoires blessées, sixième du nom, a ensuite rassemblé des entreprises musicales, photographiques, cinématographiques et théâtrales lors de trois semaines riches et artistiquement engagées. Le feu sacré de la compagnie tg STAN s'apprête à mettre définitivement fin aux brouillards givrants de février.

Quel retour de sève pour nous porter jusqu'à l'été ? Deux créations « maison », d'abord, fruits du travail de confiance établi depuis plusieurs années avec des artistes résidents : Mercedes Benz W123 (de Marie Fourquet) et C'est une affaire entre le ciel et moi (de Christian Geffroy Schlittler); ou comment un genre nouveau se fait une place au théâtre (le polar) alors qu'un monstre sacré du répertoire classique refait surface (Dom Juan) ! Le mois de mai proposera des incursions dans les domaines de l'humour (Laverie Paradis, de Claude Inga Barbey) et du sport (Corps de femme, triptyque de Judith Depaule). Mais en primeur, histoire de commencer le printemps sur les chapeaux de roue, Saint-Gervais vous réserve un O.T.N.I. (objet théâtral non identifié) répondant au nom de Las Vanitas (de Marion Duval et Florian Leduc)… Une saison explosive, on vous dit !

Voilà un texte qui a fait régulièrement parler de lui depuis sa création, à Saint-Gervais en 2009 : Pour l'instant, je doute (joué dans toute la Suisse romande en 2010, repris en 2012 notamment à Paris) restera la pièce qui a permis à Marie Fourquet de se faire un nom parmi les auteurs suisses de théâtre contemporain. Largement relayé et discuté par les médias, ce tour de force d'« androphilie paradoxale » (une femme qui se pique d'expliquer, avec tendresse, l'intimité de la condition masculine) a marqué les esprits. En se plaçant directement « dans la tête des mecs », Marie Fourquet avait saisi l'essentiel d'un sentiment générationnel. Beaucoup, en Suisse, s'y sont reconnus.

Qu'en sera-t-il à Cuba ? Car oui, le lundi 17 mars, Pour l'instant, je doute aura l'honneur d'une traduction espagnole et d'une « mise en espace » publique à La Havane : c'est Osvaldo Doimeadios, star nationale du stand-up et de la telenovela, qui prêtera sa voix aux monologues de Por ahora dudo dans le cadre du premier Festival de Théâtre Francophone d'Auteurs Contemporains à Cuba. Une initiative de Serge Sándor (avec le relai de la SSA et de Pro Helvetia) qui permettra aux Cubains de « découvrir des œuvres remarquables d'auteurs français, belges, suisses et canadiens francophones méconnus dans ce pays. »

Marie Fourquet, en représentation avec Mercedes Benz W123, regrette de ne pas pouvoir répondre à l'invitation : « J'aurais aimé pourvoir découvrir les réactions du public. Les Cubains découvriront peut-être qu'il y a, malgré des différences sociales ou culturelles inévitables, quelque chose d'universel dans les situations que je décris… » On parie que là-bas aussi, il y aura débat !

Lundi 17 mars, théâtre Adolfo Llaurado (La Havane)
Por ahora dudo /
Pour l'instant, je doute
Texte de Marie Fourquet
Mise en espace de Carlos Diaz
Avec Osvaldo Doimeadios