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Marie Fourquet dans
la tête des hommes
Daniel Vuataz,
rédacteur à St-Gervais
C'est La Tribune de Genève* qui l'a déclaré à l'issue d'une représentation : « être femme et faire du théâtre en tant que femme » constituerait le cœur de la démarche de Marie Fourquet. Sans se reconnaître entièrement dans cette proposition, l'auteure franco-suisse admet que Mercedes-Benz W123 est « la pièce la plus féministe » qu'elle ait écrit. Dans ce polar resserré, Juliette, seize ans, est retrouvée morte dans le coffre de la voiture de son père. « Mais attention, ce n'est pas parce qu'il y a un viol que c'est féministe ! Je ne dénonce pas l'acte, il apparaît dans l'histoire mais ce n'est pas le thème de la pièce », précise Marie Fourquet. « Mercedes-Benz W123 est avant tout l'histoire d'une jeune fille dévorée de désir qui va désobéir au père et en mourir. »
Le texte, exclusivement pris en charge par des personnages masculins (l'un d'entre eux étant joué par Marie Fourquet elle-même), se penche sur le désarroi du père, l'étrange indifférence du frère, la passivité coupable de l'inspecteur. La figure maternelle, qui détient habituellement le monopole du chagrin médiatique, est mise à l'écart. « Pour moi, la posture résolument féministe, c'est ça : faire parler les hommes. Elle est télégénique, la mère en larmes reniflant sur le doudou de son enfant. Mais cette mère n'est pas parfaite ! Elle est même absente, elle survit autrement. Aujourd'hui, ce retour en force au naturalisme, à la mère qui allaite et mixe ses légumes bio, le retour aux couches lavables, c'est une manière d'asservir à nouveau les femmes. » Mercedes-Benz W123, ou comment passer du fait divers au fait de société.
Jusqu'au 17 mai
Mercedes-Benz W123
Cie ad-apte, Marie Fourquet
Infos et réservations
*La Tribune de Genève, 2 mai 2014
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Judith Depaule dans le corps des sportives
Avez-vous déjà remarqué que sport et culture étaient parfois rassemblés dans un même département? A Genève, ils cohabitent depuis peu, et c'est pour une bonne raison : l'un comme l'autre représentent deux moyens d'accomplissement individuel et d'intégration sociale, tous deux font se rencontrer les différentes couches de la société. On y cultive son corps et son esprit.
En ce moment à l'affiche avec une exposition et trois variations sur un thème identique (Corps de femme : le marteau / le ballon ovale / l'haltérophilie), la metteure en scène et vidéaste française Judith Depaule considère depuis des années le sport comme l'arène privilégiée du débat sur les discriminations, celles de genre en particulier. Pourquoi ne serait-il pas naturel qu'une femme soulève de la fonte ? Comment expliquer qu'une fillette se voit plus souvent proposer de faire de la danse classique plutôt que du football ? Pourquoi les joueuses de tennis sont-elles moins bien payées que leurs homologues masculins ?
En venant présenter sa trilogie à Saint-Gervais (chaque volet sera à l'affiche deux soirs de suite, du 12 au 17 mai), Judith Depaule a prolongé son geste par une exposition vidéo passionnante (vernie hier soir). On découvre, dans cette galerie de portraits visuels et sonores, autant de témoignages glanés à Genève et en Suisse : une jeune adepte du ski-nautique, des skateuses, une équipe de roller derby… Si le sport est un révélateur des tendances de la société et que la culture en est l'un des instruments de compréhension privilégiés, c'est donc dans le jeu que ces deux activités se rejoignent le mieux. Et au théâtre qu'elles cohabitent avec le plus de pertinence.
Du 12 au 17 mai
Corps de femme, la trilogie
Cie Mabel Octobre, Judith Depaule.
Du 6 mai au 1er juin
Corps de femme, l'exposition
Judith Depaule avec l'aide de Gautier Fournier
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Claude-Inga Barbey
dans la buanderie de Dieu
Une femme patiente en silence devant le hublot d'une machine à laver. C'est Bernadette, la victime d'un drame ordinaire : « Bernadette est la maîtresse de son patron qui lui promet monts et merveilles. Mais il ne quitte pas sa femme, et elle se retrouve à plus de cinquante ans sans argent, sans enfant pour s'occuper d'elle, sans amour. » Claude-Inga Barbey a imaginé ce rôle pour son amie Doris Ittig. Mais, précise-t-elle d'emblée, le sexe de son personnage n'a pas d'importance : « Ma complicité artistique avec Doris fait que j'ai écrit l'histoire d'une femme puisqu'il se trouve que Doris est une femme, enfin je crois… Alors j'ai écrit l'histoire de Bernadette plutôt que celle de Bernard. »
Laverie Paradis, par hasard ou par nécessité, demeure pourtant une histoire de femme : « Il y a beaucoup de femmes qui attrapent la foi après un abandon, un deuil, une rupture, comme si le seul amour encore possible était celui, fiable et indestructible, du Christ. Un amour idéal, où n'entrent pas en matière la vaisselle, les repas et la garde des enfants. » Bernadette trouvera-t-elle son divin réconfort ? Visitée par un ange attiré par l'odeur du savon et du désespoir (joué par Claude-Inga Barbey), elle devra batailler…
L'interrogation sur la place de la foi dans la vie quotidienne traverse donc ce tête-à-tête tantôt hilarant et culotté, tantôt profond et engagé : « J'éprouve le même réconfort quand je fais la lessive et quand je prie », confesse encore Claude-Inga Barbey, qui nous rappelle qu'on peut, au théâtre mieux qu'à la buanderie, mélanger le noir et le blanc.
Du 27 mai au 14 juin
Laverie Paradis
Cie Sans Scrupules, Claude-Inga Barbey, Doris Ittig
Infos et réservations
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