Depuis des années, presque tous les soirs dans le petit lieu de travail de la compagnie El Warsha, au centre du Caire, les chanteurs, comédiens, conteurs, musiciens de la troupe se retrouvent, s'assoient en cercle... et répètent. Ils travaillent un vaste répertoire de chansons, de récits et de sketches, puisés à toutes les sources du verbe égyptien : la médiévale Geste Hilalienne, ses quatrains moraux et ses louanges au prophète, le music-hall cairote, les récits de la place Tahrir de 2011, les chants de résistance de Suez, les chansons ouvrières de Nubie, les témoignages, les poèmes, les chansons d'amour... Et comme les membres de El Warsha sont jeunes, et moins jeunes, sont du Caire, du Delta, ou de Haute-Egypte, qu'ils sont vêtus et coiffés à la scène comme à la ville,  El Warsha, « L'Atelier », a souvent des airs d'Egypte en miniature...

Les Nuits de El Warsha cristallisent, en tel lieu à tel moment, ce long travail cumulatif. Ces spectacles sont une forme de « cabaret urbain » : des égyptiens d'aujourd'hui font cercle sur scène et se présentent comme ils sont, chacun à son tour face à l'audience, pour un chant ou un récit. Les autres, le chœur d'Egypte, écoutent et font chorus. C'est sans apprêt, sans artifice. Mais c'est très finement ouvragé et témoigne d'une science du verbe, chanté ou dit. Il y a des voix sublimes qui génèrent le frisson à l'occasion d'un chant soufi. Et des voix simples, portées à l'intensité poignante d'un art patiemment mis au point et d'un engagement entier.

Chaque saison, Les Nuits se transforment : le répertoire est reconfiguré, d’autres chants, ou poèmes, ou récits, sont travaillés, car le cabaret capte l’air du temps. On y ressent l’exaltation ou l’angoisse de la rue cairote, le sarcasme dévie vers le puissant du moment, l’actualité trouve sa voie et sa voix dans une morale médiévale, une chanson légère de music hall ou une lettre de prison récemment écrite. Sans jamais lâcher cet esprit frondeur populaire si égyptien, un des souffles de ce cabaret du Caire qui célèbre aussi la vie comme elle vient, comme chaque jour l'accueille le peuple d'Egypte.