P renez l'air ! Saint-Gervais vous convie hors de ses murs. Sur l'Île Rousseau, plus précisément, petit havre de verdure en plein centre-ville. Quatre comédiens dans le vent – Cédric Djedje, Marion Duval, Lola Riccaboni et Valerio Scamuffa – vous feront goûter à l'ambiance libertaire et fertile de Monte Verità, sanatorium tessinois autour duquel bon nombre de courants artistiques et utopiques du XXe siècle sont nés il y a plus

de cent ans. Et aujourd'hui, Peut-on être révolutionnaire et aimer les fleurs ? demandent Dorothée Thébert et Filippo Filliger. Il faudra venir assister au défilé des pacifistes de l'Île Rousseau pour avoir la réponse…

par Daniel Vuataz

En 2009, Dorothée Thébert et Filippo Filliger rejouaient Bed-In, la mythique performance des années 1960 du couple John Lennon et Yoko Ono : trois jours dans un lit en vitrine sous le regard des passants pour délivrer un message de paix et de contestation, trois jours pour farnienter au lieu de faire la guerre…
Cinq ans et une foule de projets touchant aux arts vivants, aux arts visuels et à la photographie plus tard, c'est dans un autre lieu public que les deux artistes nous donnent rendez-vous : l'idyllique Île Rousseau. Les utopies pacifistes, celles de la communauté de Monte Verità, sont une nouvelle fois au centre de Peut-on être révolutionnaire et aimer les fleurs ?. Les corps aussi : ceux des quatre jeunes comédiens choisis pour incarner, dans un défilé à ciel ouvert, les Bakounine, Picabia, Tolstoï, Kandinsky et tous les autres qui, entre naturisme, refonte des arts et végétarisme, « dessinèrent une Europe qui aurait pu avoir lieu mais qui n'a pas eu lieu » (Espace 2). Du lit de John Lennon à celui de l'Europe contemporaine, un message persiste : une alternative doit exister.

Voilà un spectacle qui résiste aux classifications. Dans Western Dramedies, nouvelle création de la 2b company montrée dans moins d'un mois à Saint-Gervais, tout est ambivalence, dualité, surprise. Le titre, déjà : dramedy ? Ni drame ni comédie. Ou les deux à la fois. Un genre relevant autant de la charge que du regard tendre. Western qui sait qu'il s'ignore, cette pièce d'Amérique est avant tout un acte de création fort portant la marque de fabrique d'un trio rompu au travail de terrain.
Partis de la route et de l'observation fine, François Gremaud, Tiphanie Bovay-Klameth et Michèle Gurtner accomplissent sur scène un véritable tour de force : celui de nous raconter avec légèreté (et en version anglaise surtitrée !) des tonnes de choses nouvelles au sujet d'un pays que nous pensions vidé de toute substance par une overdose de cinéma, de séries télé, de littérature… Extrêmement drôle, extrêmement tragique, porté par trois comédiens épatants, Western Dramedies est un show sérieux qui déconne méchamment. Bien plus qu'un simple road trip, assurément.

«La probabilité pour qu'une diplômée en maths, arabe de surcroît, devienne comédienne professionnelle se situe aux alentours de… 0,000000000000013%. Soit quasi nulle. » Voilà le théorème qui sous-tend le formidable spectacle que Latifa Djerbi s'apprête à jouer, pendant trois semaines, seule sur la scène de Saint-Gervais. Interro surprise.

La Lettre : Quel est le point commun entre les maths et le théâtre ?
Latifa Djerbi : L'absolu. Quelque chose d'un peu transcendantal également : de la terre on passe aux astres, de l'horizontal au vertical. Et, du cas intime, on peut toucher à l'universel.

L'improbable est possible… est donc un spectacle intime ?
Oui, mais ce n'est pas un stand-up, encore moins un one-woman show, même si l'humour est omniprésent. Le paradoxe est au cœur du projet : j'essaie d'être totalement sincère, mais en même temps je transpose sans cesse cet intime en équations, c'est-à-dire en modèles. Si le vrai est une partie du faux, le faux n'en demeure pas plus vrai… L'intime, de ce point de vue, est éminemment subversif.

Et c'est quoi, l'inconnue de l'équation Djerbi ?
Ma place dans le monde, ma difficulté à la trouver, plus d'un point de vue existentiel qu'identitaire. J'incarne certes une minorité à moi toute seule, mais je parle pour tout le monde.

Et votre place, vous avez fini par la trouver ?
J'ai surtout fini par comprendre que l'avantage de ne pas en avoir, c'est de ne pas avoir peur de la perdre.

- Photos -
Première Loge, Billet Signé, Fait Maison: © Dorothée Thébert Filliger , Hors Scène: droits réservés